Mali : comment les leaders religieux ont vaincu l’état d’urgence

10 janvier 2016

Mali : comment les leaders religieux ont vaincu l’état d’urgence

A la veille des nombreuses fêtes de fin d’année, l’Etat malien a décrété l’état d’urgence. Mais il a vite reculé sous la menace des leaders religieux, conduits par le très populaire Haidara. Le film d’une capitulation.
L’affaire débute le 20 novembre 2015, avec l’attaque de l’hôtel Radisson. Le gouvernement décrète pour dix jours l’état d’urgence. Pour édifier le public sur cette notion, le gouvernement dépêche sur l’ORTM le directeur de l’Ecole Nationale d’Administration (ENA), Fousseyni Samaké. Selon ce spécialiste, l’état d’urgence est un régime juridique qui accroît les pouvoirs de police des autorités civiles. Prévue par la Constitution, la mesure est prise en cas de « péril imminent » pour la sécurité publique, d’ « atteinte grave à l’ordre public » ou de « catastrophe naturelle ». Les conséquences de l’état d’urgence correspondent à une restriction des libertés, comme celles de la presse, de la circulation ou des manifestations. « L’état d’urgence confère aux autorités administratives le pouvoir d’interdire tout rassemblement de personnes. En 1990, il fut décrété dans la 6ème et la 7ème région. En janvier 2013, les autorités de transition l’ont instauré après les attaques contre la ville Konna », explique l’expert.
C’est entendu: l’état d’urgence vise à empêcher les attroupements et les manifestations publics. C’est pourquoi, lorsqu’il est décrété le 20 novembre, suite à l’attaque du Radisson, des inquiétudes planent sur la tenue du « Maouloud », prévue pour fin décembre. Le « Maouloud », comme on le sait, désigne l’anniversaire du Prophète de l’Islam (paix et salut sur lui). Craignant l’annulation de cet événement, qu’il célèbre chaque année avec faste, Chérif Ousmane Madani Haidara, le leader de l’association islamique Ançardine, sort ses muscles. Haidara n’est pas n’importe qui. Orateur hors pair, il est le gourou d’une association qui revendique un million de fidèles. Il aime rappeler que chacun de ses disciples détient une carte d’électeur Nina. Nul n’ignore que, si le Haut Conseil Islamique (HCIM) remplit les stades à chacune de ses manifestations, c’est surtout grâce à la capacité de mobilisation de Haidara. Ce dernier est à la fois admiré et redouté. Dès le jeudi 3 décembre, lors d’un point de presse à son domicile, sis à Banconi, en commune 1 de Bamako, il met en garde contre toute annulation du « Maouloud ». Le Guide des Ançar affirme: « Le Maouloud fait partie de l’Islam. Nul ne pourra nous empêcher de pratiquer notre religion. Pour nous, le Maouloud équivaut à la prière: le gouvernement ne peut pas l’empêcher! ». Le Groupement des Leaders Musulmans, présidé par Haidara lui-même, revient à la charge, quelques jours plus tard. Lors d’une conférence de presse, le Secrétaire général du Groupement, Macki Ba, annonce que la célébration du « Maouloud » aura lieu à la date prévue (sous-entendu: malgré l’état d’urgence). Il assure que les mesures sécuritaires seront prises par les organisateurs pour le bon déroulement de la fête.
La tension monte entre l’Etat et les organisateurs du « Maouloud », lorsqu’à l’approche de l’événement, le gouvernement décrète, le lundi 21 décembre, l’état d’urgence sur l’ensemble du territoire. Des rumeurs courent sur l’annulation de tous les rassemblements, y compris ceux du « Maouloud ». D’ailleurs, un grand parti comme l’URD annule son congrès. Sentant la tenue du « Maouloud » en péril, les leaders religieux impliqués dans son organisation se réunissent au domicile de Haidara. Ils décident de maintenir la célébration du « Maouloud ». L’information est relayée par plusieurs radios et chaînes de télévision, dont Cherifla télé, une chaîne appartenant à Haidara.
Après quoi, les leaders religieux se succèdent au micro pour dire: « Nous sommes conscients de la situation du pays. Mais avant de décréter l’état d’urgence, le gouvernement aurait dû nous en parler. Nous ne pouvons comprendre que l’état d’urgence soit décrété 48 heures seulement avant le démarrage des festivités du « Maouloud », alors que des dizaines de millions de FCFA ont été injectés dans l’organisation et que des milliers de fidèles sont venus du monde entier. Par conséquent, le « Maouloud » ne sera ni annulé ni reporté! ».
Le gouvernement panique aussitôt. Il sait de quoi sont capables les foules musulmanes qui, en 2011, ont fait avorter la promulgation du Code de la famille, voté sous ATT. Il se soumet donc à la volonté des leaders musulmans de maintenir le « Maouloud ». Pour masquer sa reculade, le gouvernement se lance dans une campagne de presse. Ainsi, Mountaga Tall, ministre de l’Enseignement Supérieur, passe à la télévision nationale pour tenter de convaincre, en français et en bambara, que l’état d’urgence n’empêche pas les rassemblements, et notamment, pas ceux du « Maouloud ». Puis, c’est le jeune ministre de la Sécurité, le colonel-major Salif Traoré, qui monte hâtivement au créneau. Lors d’un point presse animé, le 23 décembre, à son département, il affirme que l’état d’urgence n’est pas décrété pour empêcher le « Maouloud » ou Noël, mais plutôt pour octroyer les moyens aux forces de sécurité d’accomplir leurs missions. « Certains attroupements peuvent être interdits, s’ils sont jugés dangereux par les autorités administratives; de même, certains lieux suspects peuvent être perquisitionnés à tout moment sans l’aval des propriétaires », prévient-il. Les contorsions des deux ministres prennent l’exact contre-pied du cours de droit livré, il y a un mois, par le directeur de l’ENA.

Haidara
Le gouvernement ayant lui-même justifié la tenue du « Maouloud », il ne reste plus aux fidèles musulmans qu’à remplir le stade du 26 Mars, jeudi 24 décembre 2015. Mercredi 30 décembre 2015, au cours de la célébration du baptême du Prophète (paix et salut sur lui), Haidara, prenant la parole devant quelque 80. 000 fidèles, revient sur ce qu’il appelle une « tentative de sabotage du Maouloud ». Et il martèle avec force: « Nul ne peut nous intimider ! Le Maouloud ne cessera d’être célébré au Mali que lorsque les hommes de valeur cesseront d’y vivre. Or, des hommes de valeur, il y en aura toujours au Mali ! » Au lendemain du « Maouloud », il répète aux journalistes: « Le jour où un président de la République tentera d’interdire le Maouloud, Dieu l’évincera immédiatement de son poste ! »

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