Enquête sur le Mali, un Etat qui a perdu toutes ses dents

3 novembre 2017

Enquête sur le Mali, un Etat qui a perdu toutes ses dents

L’Etat malien n’est plus seulement faible, il se trouve littéralement à terre. Tel est le malheureux constat qui se dégage d’une longue série de faits que je rappelle à votre bon souvenir.

Référendum au Mali: le président enterre le projet sans l’avouer

Le nord et le centre hors de contrôle

En 2014, suite à la visite mouvementée du Premier ministre Moussa Mara et à la guerre qui s’ensuit, l’Etat malien perd à Kidal la présence symbolique de ses forces armées et de son gouverneur. Le gouvernement ne contrôle plus, depuis, qu’une partie du nord du pays. Le reste étant occupé par des factions rebelles et des groupes terroristes qui y font la pluie et le beau temps. Quant au centre du Mali, le gouvernement n’y contrôle que les grandes zones urbaines : l’essentiel du territoire vit sous la coupe des bandits armés. Ces derniers poussent leur avantage militaire jusqu’à frapper régulièrement nos forces dans la région de Ségou. Des attaques meurtrières ont endeuillé Nampala, Niono, Diabali et Dioro.

La faiblesse de l’Etat malien ne s’arrête pas au problème territorial. Depuis un certain temps, il n’arrive plus à faire appliquer la moindre de ses décisions au sud, où le territoire reste officiellement dans ses mains. Quelques exemples en font foi.

L’affaire Ras Bath

Accusé d’incitation à la désobéissance des troupes après une chronique sur une radio locale, le journaliste Mohamed Youssouf Bathily dit Ras Bath est condamné à un an de prison ferme et 100.000 FCFA d’amende le mercredi 26 juillet 2017. En voyage à l’étranger, Ras Bath n’a pu se présenter à ce procès dont ses avocats avaient vainement réclamé le report. Pour les milliers de partisans du chroniqueur, sa condamnation à une peine ferme signifie qu’à son retour à Bamako, il sera conduit en prison. Cette perspective met en ébullition les milliers de jeunes gens qui prennent Ras Bath pour le Messie. Ils avaient, quelques mois auparavant, obligé les juges à le libérer. Ces groupes de jeunes promettent donc l’enfer au gouvernement, au cas où le chroniqueur serait inquiété à son retour d’Europe.

Ces menaces ne tombent pas dans l’oreille d’un sourd. Lors d’une conférence de presse convoquée d’urgence le 27 juillet, le procureur de la commune 4 de Bamako, Dramane Diarra, annonce, la main sur le cœur, que Ras Bath ne sera pas arrêté. Ce que dit le procureur s’explique en droit puisqu’une peine ferme non assortie de mandat de dépôt à l’audience est suspendue par l’appel du prévenu. La faiblesse de l’Etat se déduit plutôt de l’urgence que le procureur a éprouvée d’annoncer que le prévenu ne serait pas arrêté. Effectivement, depuis son retour d’Europe, Ras Bath, libre comme l’air, va de ville en ville prêcher son message pour l’alternance en 2018. Sa peine ? On verra après les élections…

Le projet de révision de la Constitution

Dans le cadre de la mise en œuvre de l’Accord pour la paix et la réconciliation, le gouvernement initie un projet de révision constitutionnelle. Le collège électoral est convoqué pour un référendum fixé au 9 juillet 2017. Dès cette annonce, des voix s’élèvent pour s’opposer au projet jugé inopportun en raison de la situation sécuritaire du pays. La première marche de protestation est organisée le jeudi 8 juin 2017 par le mouvement « Trop C’est Trop ». Rendez-vous est pris par les anti-référendum devant la Bourse du travail de Bamako pour une marche sur la primature. Une seconde marche se tient le 10 juin 2017, dispersée, comme la première, par les forces de l’ordre. C’est alors qu’aux marcheurs de  » Trop C’est Trop » se joignent 100 associations et 40 partis politiques opposés à la révision constitutionnelle.

Ensemble, ils mettent sur pied la plateforme  « Antè ! A bana: Touche pas à ma Constitution ». Samedi 17 juin, la Plateforme organise sa première marche qui mobilise des milliers de manifestants. Elle exige un retrait pur et simple du projet de révision constitutionnelle. Elle organise un meeting le samedi 1er juillet 2017, au moment même où se déroule à Koulouba le sommet du G5 Sahel. Une deuxième marche est organisée le samedi 15 juillet 2017 à Bamako et dans plusieurs autres localités pour inviter le président Ibrahim Boubacar Keïta (IBK) à retirer le projet. Le 7 août 2017, à travers une lettre ouverte, la Plateforme lance au président IBK un ultimatum, lui intimant de retirer son projet au plus tard le mardi 15 août 2017 à minuit.

Le samedi 12 août 2017, le chef de l’Etat reçoit à Koulouba des leaders religieux et notabilités traditionnelles qui (par hasard ?) lui demandent de surseoir au référendum. Comme s’ils étaient soudain devenus experts en droit, ils vont jusqu’à rappeler que le sursis respecterait les directives de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). Ces directives interdisent tout référendum à moins d’un an des élections générales ! Le communiqué des leaders religieux et traditionnels fait l’objet d’une diffusion immédiate sur la chaîne publique ORTM, qu’on a connue plus lente dans ses reportages. Ainsi, dimanche 13 août 2017, dans un message à la nation, le président IBK annonce lui-même le sursis au projet référendaire. Une vraie capitulation !

La loi contre l’enrichissement illicite

Quand on s’en tient aux statistiques évoquées ci-dessus, on peut prédire que le gouvernement fera bientôt une nouvelle reculade, cette fois devant la levée de boucliers des syndicalistes contre la loi sur l’enrichissement illicite. Le Syndicat National des Travailleurs de l’Administration d’Etat (SYNTADE) jure de mettre en échec cette loi qu’elle juge « discriminatoire et injuste ». Selon lui, cette loi a pour seul but d’empêcher les fonctionnaires de l’Etat de vivre à l’aise. Le SYNTADE, suite à une rencontre tenue dimanche 16 juillet à la Bourse du travail, a demandé à ses militants sur toute l’étendue du territoire national de ne pas signer les formulaires de déclaration de biens que leur a envoyés la Commission de lutte contre l’enrichissement illicite. Dans la foulée, il a observé une grève d’avertissement de 72 heures dans tous les services de l’Administration d’Etat du mercredi 25 octobre au vendredi 27 octobre 2017. Le syndicat promet une nouvelle grève de 5 jours du 6 novembre au 10 novembre 2017 si le gouvernement ne fait pas abroger la loi. D’ailleurs, le syndicat vient de lever ce nouveau mot de grève. En effet, le gouvernement a pris l’engagement de retirer la loi.

 L’expulsion du gouverneur de Gao

Nommé gouverneur à Gao, Seydou Traoré se brouille vite avec la population qui lui reproche son mépris des administrés : il a notamment refusé de leur prêter la salle de conférences du gouvernorat pour une réunion sur la crise du nord. Il a aussi refusé de charger les forces de l’ordre de sécuriser la rencontre qui, finalement, sera sécurisée par des milices armées. Samedi 3 juin 2017 donc, des organisations de la société civile de Gao demandent le départ du chef de l’Exécutif régional. Elles préviennent que si l’intéressé reste encore en ville à la date du 12 juin 2017, elles empêcheront toute administration d’ouvrir ses portes à Gao. Sous la pression populaire, le gouvernement est contraint de relever Seydou Traoré de ses fonctions.

Le maire expulsé de la commune de Boron

Alou Doucouré, confirmé maire de Boron par un arrêt de la Cour suprême du Mali, ne peut mettre les pieds dans sa commune ni dans ses bureaux. La décision judiciaire est contestée par la population depuis un mois, ce qui empêche l’investiture du maire. Pour rappel, suite aux municipales du 20 novembre 2016 dans la commune de Boron, la liste PARENA conduite par Bakary Diané est classée première. Elle est attaquée devant le tribunal administratif de Bamako par Alou Doucouré, tête de liste du CNID. La justice tranche en première instance en faveur de la liste PARENA. Doucouré fait monter l’affaire devant la section administrative de la Cour suprême qui annule les suffrages exprimés dans 4 villages, ce qui fait perdre à la liste PARENA un conseiller communal au profit du CNID. Du coup, l’élection de Bakary Diané comme maire est invalidée au profit de Doucouré.

La population de Boron ne l’entend pas de cette oreille. Elle s’oppose à l’intronisation à la mairie. Le préfet de Banamba, venu installer Doucouré, est chassé par les habitants de Boron. Le gouverneur de Koulikoro, Sékou Coulibaly, se rend à son tour à Boron avec une dizaine de véhicules remplis de soldats. Malgré cet impressionnant dispositif, le gouverneur est empêché de s’approcher de la mairie par une foule en délire et il échoue à installer Doucouré dans ses fonctions de maire. Doucouré se fait alors introniser le 3 août 2017 à Banamba, très loin de la commune de Boron. Depuis cette date, la mairie de Boron est fermée, la population en refusant l’accès au maire Doucouré.

Le pire, c’est que pour récupérer son fauteuil, le maire Doucouré crée une milice armée formée de jeunes de sa ville natale : Danfan. Bien qu’averti de l’imminence d’affrontements armés entre la milice de Doucouré et les chefs des 47 villages opposés à son élection, l’Etat reste immobile. A terre…

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